Fabien Boitard
par Elisabeth Couturier
Ecrit à l’occasion de la » 58ème édition du Salon de Montrouge ». 2013
Quelles sont les motivations d’un jeune peintre en ce début du xxIe siècle ? À peu de choses près, les mêmes qui animaient ses aînés hier ou avant hier: «Qu’est-ce que je peux voir de ma fenêtre ? Qu’est-ce que je peux dire du monde?», explique Fabien Boitard à propos de ce qui le pousse à commencer une toile… Sorti de l’École des beaux-arts de Bourges avec les félicitations du jury, la question du choix du médium ne s’est jamais posée pour lui. Peindre contre vents et marées, voici un défi qui ne souffre d’aucune hésitation. Il sait la plasticité de la peinture sans limites et ses ressources infinies. Pour répondre à son désir impérieux de transmettre la palette complexe des émotions qu’il ressent à propos d’une situation, d’un paysage ou d’une relation, Fabien Boitard adopte un style hétérogène. Il explique: «On n’a pas le même rapport face à une maison, à un arbre ou à une personne, donc pourquoi traduire cela par la même façon de peindre ». Aussi refuse-t-il de s’attacher à un style unique. Il préfère jouer avec la matière et juxtaposer, dans une même toile, des techniques mixtes, selon qu’il veut transmettre, par exemple, un sentiment de bonheur, d’étonnement ou de colère… Il confronte ainsi des temporalités différentes et des humeurs contradictoires. Ses rapprochements formels énigmatiques, parfois grinçants, souvent intrigants, obligent à une lecture polyphonique de l’image. Il s’appuie en général sur une photographie qu’il a ou non prise lui-même. Mais il peut aussi bien peindre directement sur le motif ou encore créer une composition originale. Quoi qu’il en soit, il fait volontiers cohabiter sur la même surface un flou, des giclures, des graffitis tracés à la bombe, un dessin et même un glacis. Il explique: «Toutes les façons de poser la peinture sur la toile m’intéressent. Par la matière, l’image prend tout son sens». Il ajoute: «Plus que le sujet, c’est l’ambiance que je cherche à définir ». Et il est incontestable qu’à première vue sa peinture déroute. Les cadrages, les thèmes traités, les associations visuelles, les couleurs utilisées, tout sort de l’ordinaire: «J’ai envie que ma peinture fasse réagir » explique celui dont les portraits peuvent être saignants et les vue extérieures biffées avec rage. La nature et son devenir obsèdent Fabien Boitard, qui vit dans la campagne montpelliéraine. Quelle place l’homme lui accordera-t-il demain? Comment occupera-t-elle alors son imaginaire? Comment continuer à rêver dans une société où tout devient marchandise ? Il précise « ne pas vouloir être dans la démonstration, mais rechercher une certaine tension ». Tel est, en filigrane, le fil rouge qui court d’une série à l’autre. Faire passer des idées, sans en avoir l’air. Revendiquer une ultra subjectivité et partager ses interrogations à travers des compositions puissantes et fortes, constitue, pour lui, un enjeu majeur.
Fabien Boitard
by Elisabeth Couturier
Written on the occasion of the » 58ème édition du Salon de Montrouge ». 2013
What are the motivations of a young painter at this beginning of the 21st century? Pretty much the same as those of his elders of yes- terday and before: “what can I see from my window? What can I say about the world?” explains Fabien Boitard about what incites him to begin a painting… a first class gradu- ate of the art college of Bourges, the ques- tion of choice of medium never arose for him. To paint against all odds, this is a chal- lenge that does not suffer from any hesita- tion. He knows that the plasticity of painting is without limits and its resources infinite. To respond to his craving to transmit the com- plex palette of emotions that he feels about a situation, landscape or relationship, Boitard adopts a heterogeneous style. He explains: “we do not have the same relationship before a house, a tree or a person, so why translate this by the same way of painting.” He also refuses to focus on a unique style. He prefers to play with the material and to juxtapose mixed techniques on the same canvas depending on whether he wants to transmit, for example, a feeling of happiness, surprise or anger… He thus opposes different tempo- ralities and contradictory moods. His formal enigmatic associations at times grating, often intriguing make a polyphonic reading of the image necessary. Generally he starts from a photograph that he may or may not have taken himself. But he can just as easily paint from life or imagine a composition. Anyway he willingly makes blurs, splashes, graffiti traced with an aerosol; a drawing and even glaze cohabit on the same canvas. He explains: “all ways of applying painting on the canvas are interesting to me. Through the medium, the image takes on its meaning.” He adds: “more than the subject, it is the atmos- phere that I try to define.” And it is incon- testable that at first sight his painting con- fuses. The compositional structure, themes depicted, the visual associations, colours used, all is unusual: “I want my painting to provoke reactions” explains Fabien Boitard, whose portraits can be bloody and outside views crossed out with rage. Nature and its destiny obsess the artist who lives in the countryside near Montpellier. What place will mankind give it tomorrow? How will it occupy the imaginary? How do you continue to dream in a society where everything becomes merchandise? He specifies “not wanting to be in the mode of demonstration but seeking a certain tension.” Such is, implicitly the red thread that runs from one series to another. Communicating ideas, giving the impression of doing so. Claiming ultra subjectivity and sharing his question- ings through strong and powerful composi- tions, constitutes for him a major challenge.
Fabien Boitard
par BTN - Magazine L'Art Vues
Ecrit à l’occasion de l’exposition « Mortel » à la Chapelle des Pénitents, Aniane. 2023
La production picturale de Fabien Boitard prouve que l’on n’en a toujours pas fini avec la peinture et qu’il aura, depuis trente ans, grandement contribué à son renouvellement. Cette exposition, du 21 avril au 28 mai, dans un village où il réside, à quelques encablures de son atelier, et du domaine de Capion qui soutient l’initiative, lui permet de faire le point sur un travail de recherche abordant tous les genres : le paysage et le portrait, mais aussi les nus et les motifs floraux ou animaliers, sans parler de la vanité, laquelle éclaire quelque peu les finalités de l’œuvre.
Cette dernière est tout d’abord combative, contre l’injustice sociale et artistique ainsi que le prouvent les visages de manifestants défigurés (qui rappellent les Women triturées de De Kooning). Elle est ensuite revendicative : elle soutient, depuis le début, la cause de la peinture, contre vents et marées qui l’ont très souvent ignorée ; elle revisite les codes des médias dominants afin de donner du corps, de la chair et même des blessures à l’image, qui se charge dès lors de matière… Ainsi, si la forêt donne bien sur un château de rêve, elle révèle sa matérialité colorée qui illustre bien la difficulté de toute quête, tandis que l’arrogant bâtiment, tout au fond de l’image, passe pour un prétexte à force d’être flou et improbable. Elle est également ironique et joue sur des effets de distanciation, recourt à l’humour et au clin d’œil complice, qu’il s’agisse d’exhiber le croupion d’un canard en plongée, de caricaturer une famille anglaise ou la « bande d’enc. » d’une classe d’ados ordinaire, voire de se payer la tête d’un puissant de ce monde, notamment ceux qui font la pluie et le beau temps dans le milieu de l’art. Par ailleurs, cette œuvre n’ignore pas les contraintes du cadre, mais est tout aussi capable de se présenter sous forme de châssis découpé, dès lors qu’il s’agit de traiter le motif de la tente, du terrain de tennis, de l’hexagone et sa météo ou du bateau à voile.
Fabien Boitard conçoit la peinture comme une provocation et non comme un déploiement de technique et de savoir-faire, que par ailleurs il maîtrise. S’il s’attaque à un sujet, c’est pour le renouveler. Il fait de très gros plans sur des oiseaux mais il les imagine mazoutés, ce qui l’autorise à user de la coulure, en un geste pertinent. L’animal se détache sur un fond neutre et vaporeux ce qui lui permet de s’accaparer les codes de la photographie. Il en est de même sur ses séries de branches où la matière picturale fait éclore les fleurs et célèbre ainsi la renaissance de la peinture. Fabien Boitard revendique aussi la possibilité de raconter autrement. Ainsi conçoit-il, dans certains tableaux, une continuité oculaire et sensible qu’il nomme ruissellement. On voit des traits d’union organiser la circulation du regard d’une montagne à un arbre, de celui-ci à une série de pavillons stylisés, puis à un château ou à une étendue d’eau reflétant le ciel. La peinture a ainsi cette capacité de synthèse, à condition de ne pas se contenter de reproduire photographiquement la réalité mais, à la manière du poète, de tourner le dos à la convention afin de réorganiser subjectivement le monde autour de soi. Depuis l’atelier jusqu’aux multiples ailleurs concevables, que favorisent aujourd’hui les moyens de diffusion de l’information et de la fiction, notamment les données iconiques empruntées à Internet ou au numérique en général. Cette confiance absolue dans la peinture fait que Boitard revisite les chefs-d’œuvre : Suzanne et les vieillards, et leurs antécédents mythologiques, Leda et le cygne… Il y ajoute sa singularité et ses tendances iconoclastes car l’artiste selon lui ne saurait s’imposer de limites ni de règles. Il doit à tout prix innover, même, et je dirais a fortiori, s’il s’attaque à des sujets aussi rebattus que le coucher de soleil, qu’il n’hésite pas à traiter à la manière d’un spectre de Rorschach.
Il n’est pas inutile de souligner que cette exposition cadre avec le printemps un peu comme le motif de la tente ou du bateau dans les « shaped canvas » coïncide avec les contours du tableau… Cette coïncidence va de pair avec la renaissance d’une certaine peinture que l’on peut vérifier un peu partout et notamment au Mo.Co. et son hommage à l’Immortelle (auquel il participe). Sauf que Boitard, qui s’y connaît en vanité, choisit plus humblement le passager, le contingent, partant le Mortel. La Chair, même en peinture, est périssable, si l’on ne lui donne pas de quoi se sustenter honorablement.
BTN
Fabien Boitard
par Alexia Guggémos
Ecrit à l’occasion de l’exposition « En attendant les choses graves » à la galerie Derouillon, Paris. 2016
Réinventer une perspective en peinture, oser un mode de représentation du monde radicalement nouveau, telle est la raison de peindre de Fabien Boitard. Châssis tronqués, lignes de fuite biaisées, il règne une certaine intranquillité dans les scènes faussement bucoliques de ce maître en inversions rythmiques. « Je vise une intention autre, pourquoi pas une perspective affective », confie-t-il. Ses arrière-plans prennent toujours possession du paysage, comme si le regard, empêché de circuler largo, devait se heurter à cet Ailleurs rapproché. L’œil est mis à nu, bouscule le plan, interroge la peinture.
Un sentiment trouble émane de ces grandes « vallées » charpentées. On y retrouve toute la magie vibratoire d’un Joachin Sorolla, toute la puissance évocatrice d’un Gerhard Richter. Mais c’est une nature contaminée, un avenir « enfumé » que peint Fabien Boitard, poète du désespoir écologique, expert en accords de tons et pourfendeur des faux-semblants. Composer avec des intentions, affirme Fabien Boitard à propos de ce qu’il nomme les « Pensées magiques », le titre de sa nouvelle exposition à la galerie Derouillon à Paris qui évoque la ferveur comme forme de pensée. Deux ans après « En attendant les choses graves », toujours chez Benjamin Derouillon, la promesse est tenue. C’est dans la gravité et la solennité d’une marche « andante » que l’on arpente ainsi ses « paysages-enveloppes ».
Cinq tableaux-mouvements sortis durant l’été 2018 de son atelier niché à Aniane, au cœur de l’Hérault. Le peintre met ses neiges en sourdine, ses mâts de sourcier en vibration, pour que surgisse l’inattendu. « La surprise fait partie du spectacle », poursuit l’artiste. Car tout est recherche formelle chez ce poseur de lignes, né d’un père dessinateur industriel et d’une mère acquise à l’analyse des rêves. « Le flou est un filtre névrotique comme un autre », explique le brouilleur d’image. Les couleurs sont noyées par un savant sfumato à la térébenthine. Les touches cadencées sont apposées au couteau, elles battent la mesure. Luit la neige. Entre scintillement et éblouissement.
Un Boitard en passant
par Léon Mychkine
Ecrit à l’occasion de l’exposition « Pensées magiques » à la galerie Derouillon, Paris. 2021
Missive, enveloppe, envoyer, aller vers, tendre à, regarder, recevoir → épistoler, épistolaire, rebrousser chemin, format postal, destinataire, habiter, post restant. Boitard goûte le format, comme si on envoyait un tableau par La Poste (la mâle poste), emballé c’est pesé, mais paysage déballé ici, déballant. La peinture cherche toujours → La peinture à tête pensante, j’entends.
Ici, paysage à première vue distinct du reste, comme incrusté, passageant, partir en pont. Et dessous : taches bleues → Quésaco ? (1730 ; provencal: aco, du lat. hoc = ceci) → peinture d’hoc (appartenant à un lieu, et langue ?) → ici les trois gouttes de peinture bleue, deux rondes l’une langue « cause toujours, je peins » → chez Boitard peinture bleue empâtée = “ramener au plan” comme il dit → l’œil s’aligne sur la langue bleue, pause, puis repart dans le ciel, tourmenté → descente de ciel, tout schüss au revoir l’Empyrée → il est bien sale ce ciel → sale ciel → ciel sale → mais ciel quand même (il n’en est plus qu’un).
Paysage déballé déballant (re) → on reconnaît, “à la” dépiction : fleuve, verdure, salade, et pont. → le reste → Des espèces de… tentacules paysagères, gauche/droite, cessant sous le rabat de l’enveloppe → paysage plié (on y revient).
On n’y comprend rien ∨ tentacules = version précieuse (un peu, baroque ?) du coup de pinceau signalent justement un Premier temps du tableau → entendez : avant il y eut ceci, hoc, le lieu (entendez aussi comme lieu du peintre → son actif corps) le z’aco, le fouillis de l’acte, qui, à un moment, s’actualise : alors, à ce moment, et à côté, au milieu, Boitard formalise… (à regret ?)
Regardez le détail ci-dessus → j’aime cette énergie des pointes → comme vagues contradictoires : en plein paysage. Ça fouette et, encore une fois, le Ciel vient calmer l’ardeur (le Ciel, c’est le mythe, toujours en action) → Les fourches, les pointes → un clin d’œil au Classicisme → et les trois stickers bleus (dont un fondant), le Moderne, ou Contemporain : car, aucun référent moutonnier → Boitard ⇔ Postmoderne ?
One more time : Quésaco ? → Ces traits, coups, brossages, signifient le végétal, la faune, la flore, les amis sauvages, juste avant la barre, le pont, la civilisation, la pierre → trop simple ? On se demande (?) : Pourquoi toujours interroger ce qui est fait artistiquement ? → Parce qu’il “faut” // interroger la peinture // C’est bien ce qu’attend l’artiste non ? Sinon il dit : “j’avais envie de faire ça”… Mais ce genre là, c’est trop infantile → nous sommes chez les adultes → mais je dis, quand même, c’est risqué, ces coups de pinceau, ça peut prêter à confusion → [Quidam] : Pourquoi fait-il cela ? Réponse [autre quidam] : Pour faire penser à, et pour faire réfléchir. → c’est vrai que c’est risqué, parce que → on pourrait se dire qu’il (le peintre) fait cela par paresse, qu’il en a marre, on passe à autre chose. Non → c’est pas ça ← Possible hypothèse mais bad answer → Boitard ne peint pas pour faire déco, joli ; il peint souvent, toujours oupresque, en prenant des risques, sinon ce n’est pas amusant (là où tant d’autres se contentent du “joli”, quand ils y parviennent… et basta !) → Ici, oui, il fait réfléchir à ce qu’il fait, a fait, et laisse le spectateur juger par lui-même ; genre : t’acceptes ou pas ? Eh oui !, le peintre vous laisse flotter dans le doute (c’est quoi ces traits ?), il vous le demande directement ⇒ Boitard peintre courageux /// Reste : un tableau, qui, encore une fois, se regarde en plusieurs temps (je ne parle pas du temps de la contemplation, ce temps est terminé, non ; je parle, on l’a compris, du temps comme matériau investi avant, pendant, et après → temps, pour ainsi dire — sans blasphème —, incarné → “Claro” ? → mon premier article titrait sur le cognitif → ce n’était pas pour rien → Boitard est un peintre qui joue sur le cognitif et le métacognitif → à savoir : reconnaître d’“instinct”, ou, si vous préférez, par habitude : 1) je reconnais la dépiction de végétation, et 2) je me demande pourquoi c’est peint comme cela, je ne me contente pas du donné. Il y a ce double-processus chez Boitard, là où, encore, beaucoup s’arrêtent au cognitif : “je connais que c’est plaisant… joli”, etc.
Il y a — aussi — une dynamique chez Boitard, comme ci-dessus ↑ voyez cette espèce d’ovale mis-tentacule mi ciel-on-ne-sait-quoi agacé, la pince mauve, comme en lutte avec son doppelgänger naturel, plus pour longtemps → mais maintenant que je viens d’écrire ce mot, je me dis : « bien sûr, les tentacules déjà sont dynamiques ! » → On pourrait aussi penser à un truc catastrophique : genre, justement, un monstre se jette sur le gentil paysage et va tout dévaster.
Il faut aussi, bien entendu, insister sur la chromie → très osée, très exaltée : ces violets profonds, ce vert astucieux, éclaboussé de noir et strié, ces bleus dramatiques → les tentacules au rabat du ciel s’opposent à l’écrin bucolique et paisible. Et tout ça sur une enveloppe ? L’enveloppe sert à Boitard parce qu’elle possède un rabat, à l’ancienne (Flash back : « le rabat permet la perspective. Il permet aussi de faire de cet objet un message.»
Fabien Boitard
par Philippe Saulle
Ecrit à l’occasion de l’exposition « ….. » Nîmes. 2012
Formé à L’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Bourges, Fabien Boitard peint contre vents et marées avec une fougue qui impressionne d’emblée les regardeurs que nous sommes. Sa peinture vitupère, exprime avec force une certaine forme de protestation. C’est cette première observation-là qui nous aborde – au sens d’abordage – avec franchise pour ensuite découvrir peu à peu une véritable faconde du geste et des élégances enfouies qui de par-dessous la force ressentie font surface au fur et à mesure que notre regard se fait dompter. Comme d’autres artistes avec d’autres médiums explorent à l’envie diverse technique et façons, Fabien Boitard cherche, lui, la peinture, cherche dans la peinture, et se déplace au travers d’elle, en elle, si vaste. Il nous assène cette vérité que nous avions trop souvent fait mine d’oublier : l’étendue des possibles est telle qu’il n’y a aucune chance pour qu’on en rencontre un jour les limites. Le territoire du médium est infini. Et c’est l’échelle du peintre même qui se heurte à cet espace esthétique et historique sans fond. Fabien Boitard malgré sa fécondité, ses trouvailles ou même ses retrouvailles avec tant d’expériences anciennes, ne déroge pas à un style, son style, vif, emporté dont il ne saurait faire l’économie. Qu’il torde un châssis, qu’il colle, qu’il recouvre, qu’il arrache, qu’il repeigne, qu’il s’épuise à de lancinantes techniques, qu’il jette, racle, sa personnalité et son style s’affirment sans concession. A ces techniques sans cesse revisitées s’ajoute en plus l’étendue des sujets, des figures et Fabien Boitard ne manque pas d’inspirations, elles pleuvent, que se soit devant sa porte, autour de lui, dans le monde des médias ou dans celui des virtualités numériques ou autre nouveaux mondes. Tout est sens, qu’il convoque à l’aune de la pertinence de son sens critique. Il va même parfois trop loin pour moi, tellement il s’investit de toutes torsions, au bord du déraisonnable emporté par sa fronde. Il s’avère a postériori qu’il a raison, que sa démesure est juste en regard de celles qui nous tuent sans même que nous ayons l’intelligence de les voir fondre sur nous. Au « tout a été fait » ressassé jusqu’à plus soif, il pourrait répondre : tout est à faire aujourd’hui pour demain parce que nous sommes vivants. Sa peinture est tantôt douce, tantôt brutale ou carrément piégée, elle est à la confluence de nos paradoxes et, si elle est parfois séduisante, elle l’est très vite à la racine étymologique de ce mot même, du latin seducere : pourrir. Insatiables vanités. Il aime tellement peindre que pour tenter de vivre de sa peinture, il répond parfois à des commandes de portraits de famille qu’il exécute, sage. Mais, en même temps qu’il réalise ces portraits de commande il fait en parallèle une autre toile directement liée à la première infiniment moins sage, beaucoup plus fouillée, dangereuse, comme un juste contre-point, pour garder sa main libre et sa peinture en vie.